Grands ensembles et villes nouvelles : entre consommation galopante et vent de contestations
Publiée le 25/05/2021
Entrons dans les Sixties : la fin d’une époque, l’éclosion d’une nouvelle ère…
Réinventée… par des mouvements à l’effervescence créative très forte, la mise en lumière de figures de l’architecture, du design, de la mode, de la nouvelle vague, de la musique, toutes plus avant-gardistes les unes que les autres.
Modernisée… par l’avènement de la consommation de masse, de la standardisation, de l’industrialisation exigées par l’urgence de la construction de centaines de milliers de logements décents ; par l’augmentation du pouvoir d’achat et l’accès au confort pour tous.
Bousculée… par la libération de l’ordre moral ; par des pensées et courants révolutionnaires d’une nouvelle génération qui s’oppose à cette forme d’aliénation de la condition humaine, à la centralisation des pouvoirs, à l’austérité.
Le temps des Premières… mais des progrès à double vitesse
- Les 1ères publicités TV même s’il n’y a toujours qu’une chaîne, l’ORTF.
- La 1ère émission de radio « Salut les copains » et le 1er magnétophone à cassette
- La 1ère greffe du cœur
- Le 1er vol du Concorde
- Le 1er bikini et la 1ère mini-jupe
- Le 1er homme dans l’espace et 1er pas sur la Lune
- Le nouveau franc
- Et les débuts de Johnny Hallyday ;-)
Sans être exhaustive, ni chronologique, cette liste donne un aperçu de la ferveur qui règne dans tous les domaines à cette époque.
Derrière cette façade édulcorée, la crise du logement fait toujours rage en France.
Malgré les plans de relance et les aides de l’Etat, les bâtiments ne sortent pas assez vite de terre. Des villes entières sont créées ex nihilo en périphérie des grandes villes où affluent les populations rurales, les émigrés de retour des colonies et la main d’œuvre étrangère venue aider en masse sur les chantiers.
En 1962, un ouvrier gagne en moyenne 580 francs par mois (90 euros)* ce qui ne lui permet pas d’être propriétaire.
La surpopulation est toujours aussi importante. Le Français moyen n'a pas de salle de bains*** et les bidonvilles et autres taudis soit disant temporaires, perdurent.
La naissance de prouesses architecturales, les Grands Ensembles
Les « Grands Ensembles » sont alors l’une des solutions choisies pour remédier à la crise du logement et au mal-logement.
L’objectif est simple : construire des logements par centaines, par milliers**, à des coûts de revient toujours plus économiques.
Ils sont excentrés entre ville et campagnes, mais spacieux, lumineux, offrant des prestations modernes et confortables, dotés d’espaces communs (aires de jeux, zones commerciales, écoles, espaces verts…) et proposés à la location, plus accessible que la propriété.
Le béton connaît sa 1ère heure de gloire.
Ce matériau brut, économique, facile à produire et à façonner, séduit les architectes de l’époque. Il rend réalisables les projets les plus audacieux, sans fioritures.
De grands noms comme Le Corbusier se voient confier la construction d’édifices monumentaux d’un genre nouveau, innovant, mêlant commerces, habitations et espaces communs, à l’image de la Cité Radieuse à Marseille.
L’innovation ne s’arrête pas à l’enveloppe du bâtiment…
Dans les années 60, la femme moderne commence à s’émanciper : elle choisit d’avoir des enfants grâce à la dépénalisation de la pilule, elle fait du sport, fume, conduit, travaille, s’habille comme elle l’entend. C’est le mode de vie de toute la famille qui est repensé autour de nouveaux postulats.
La fabrication de petits appareils d’électro-ménagers explose pour faciliter la vie des familles. Les designers de l’époque nous offre du mobilier devenu très tendance et recherché aujourd’hui. Tout doit être optimisé, fonctionnel et la standardisation est de mise. Les espaces de vie sont pensés et modélisés pour faciliter le quotidien, les appartements sont dotés d’équipements modernes et technologiques garantissant le confort de leurs habitants.
Pendant ce temps chez LORILLARD ;-)
Propos recueillis auprès de Jean Lorillard.
« En 1960, le marché est tel que nous devons, pour assurer nos ambitions et rester compétitifs, nous équiper de matériels performants dotés de nouvelles technologies aussi bien en machines qu’en outillage, cela dans une perspective et un esprit d’industrialisation.
Nous ne sommes pas connus, nous manquons de références significatives, nous devons acquérir la confiance des architectes et des maîtres d’ouvrages.
Je termine un cycle d’études au « Lycée National Technique du Bois » à MOUCHARD.
Ma décision est prise de rejoindre l’entreprise familiale en septembre qui comptait alors une quinzaine de salariés.
Je m’installe dans un grenier qui communique avec l’atelier, nous achetons une planche à dessin et un classeur pour la documentation technique des fournisseurs et celle des matériels et machines. Une feuille de contreplaqué sur 2 tréteaux fera une table pour étaler les plans, établir les quantitatifs et valoriser les offres de prix. Très vite nous recrutons un dessinateur-métreur.
Un technicien, arrivant de Nantes postule pour un poste de bureau d’études et de suivi de chantiers. Nous profitons de cette période pour recruter un deuxième dessinateur-projeteur.
L’équipe a besoin de place, nous construisons en 1962, un bâtiment de bureaux sur 250m² pour regrouper toutes les fonctions techniques et administratives, soit 5 salariés avec André.
Notre première moulurière 4 faces est commandée, puis une tenonneuse double. Nos clients nous réclament des plans de mise en œuvre et parallèlement nous devons rationaliser nos productions et créer de nouveaux produits adaptés.
La production industrielle est prête pour nos premiers chantiers à réaliser en Ile de France : Villemonble (163 logements), Rosny Sous Bois (450 logements)…
En à peine deux ans, compte tenu de l’importance des chantiers, nos ateliers sont saturés et nous devons monter de nouveaux bâtiments pour la production, découpe des panneaux de particules et assemblage ainsi que le stockage des matériaux et menuiseries avant expédition.
La stratégie : développer notre compétence chantier et fabriquer les composants dont nous avons besoin : fenêtres, huisseries, portes, bâtis et portes de placard, plinthes, moulures, volets, persiennes toujours sur commande et sur mesure.
Nous devons valider notre sérieux et nos compétences, certains dans le microcosme parisien nous considèrent comme « un menuisier de campagne », nos concurrents ne nous épargnent pas, il faut se faire reconnaitre… car les chantiers qui se profilent sont considérables, de l’ordre des 1000 logements…
Le développement se poursuit et les chantiers en Ile de France s’enchainent.
A partir de 1966, nous travaillons avec les architectes pour mettre au point de nouveaux produits et de nouvelles conceptions de mise en œuvre.
Nos besoins en bois sont de plus en plus importants et nous décidons de créer une scierie moderne sur une nouvelle implantation avec un objectif de transformation de 40 m3 jour. Un terrain de 4 hectares est acheté pour cette nouvelle installation à Bailleau L’Evêque à 15 kms de Chartres. André, mon père, passionné du bois assure les approvisionnements, achat des grumes en forêt, sciage suivant les prévisions, charpentes ou menuiseries…
Nous sommes enfin reconnus. Les architectes et les clients apprécient notre implication sur les chantiers, la qualité de nos produits, et notre réactivité.
Nous intervenons sur les Grands Ensembles à Alforville, Epinay Sous Senard, Vélizy (3 000 logements), Parly 2 (5 000 logements)…
Les Orgues de Flandre rénovés en 2010 par le Groupe Lorillard @De Royer
Les équipes de travaux se développent : poseurs salariés, chefs de chantier, conducteurs de travaux…
Les grèves de mai 68 rendent l’approvisionnement en carburant difficile, Paris est paralysé…, les lycées sont bloqués, les facultés occupées….
En banlieues les chantiers tournent au ralenti, voire sont bloqués…
Fin Mai, les accords de Grenelle sont signés et l’activité repart.
Nous sommes 150 salariés.
Nous continuons à nous développer. Nous employons de plus en plus de bois exotique pour les menuiseries extérieures : Sipo et Niangon en provenance d’Afrique, Loan et Méranti en provenance d’Asie.
Nos principaux chantiers : nous terminons les dernières tranches de Vélizy et de Parly 2, Noisy Le Grand (900 logements), Argenteuil (1 000 logements), Villeneuve La Garenne (1 600 logements), Créteil (2 chantiers 500 et 400 logements) »
Les Orgues de Flandre rénovés en 2010 par le Groupe Lorillard @De Royer
Autant plébiscités que critiqués
Ah, les « Grands Ensembles »… de véritables villages urbains qui devaient être auto-suffisants, et favoriser les échanges et les interactions humaines. L’idée originelle est louable mais dans les faits, la construction de leur environnement a pris beaucoup plus de temps que prévu, bien trop à l’échelle d’une vie humaine**.
Les « Grands Ensembles » qui au départ, portaient un nom symbole d’espoir et d’égalité, deviennent les mal-aimés.
La critique est facile : logements mal insonorisés, sans âme, monotonie de l’architecture, ségrégation sociale, isolement et ennui, jusqu’à l’apparition d’une maladie inventée pour l’occasion : la « Sarcellite »** !
Leurs atouts s’effacent au profit des paroles des détracteurs. Ils sont décriés, haïs, accusés de tous les maux, balayant d’un revers de main, leurs nombreux avantages.
Pourtant, il faisait bon vivre dans ces HLM : Eau courante et salle de bains dans tous les logements, superficie au-dessus de la moyenne de l’époque, équipements dernier cri et luminosité importante.
Les cités de l’époque ont fait figure d’exemple en matière d’innovation technique et sociale.
La cité des Etoiles à Givors, une réalisation remarquable de l'architecte Jean Renaudie, construite un peu plus tard entre 1974 et 1981, comme alternative aux barres HLM.
Aujourd’hui, nombre d’entre eux sont réhabilités pour répondre aux exigences des normes énergétiques actuelles, d’autres sont tout bonnement rasés. Certains obtiennent le label « Patrimoine du XXème siècle » à l’image des Orgues de Flandre ou de la Cité des Etoiles à Givors et sont reconnus pour leur empreinte architecturale et historique.
Ce qui est sûr c’est qu’ils n’ont pas fini de faire parler…
*source : nouvelobs.com
** source : musee-hlm.fr
« Le 4ème Plan quinquennal (1962-1967) lancé par le gouvernement prévoit un rythme de construction de 350.000 logements/an. »
« En 1954, 13% des logements étaient surpeuplés. En 1962 ils sont toujours 12% ! Le bulletin statistique du ministère de la construction indique fin 1963, que 20% des logements sont toujours sans poste d’eau, 60% sans cabinet de toilette et 72% sans salle de bains. Dans le secteur locatif social le taux de surpeuplement se situe entre 30 et 40%. »
« Le contexte économique se modifie : c’est « l’ascenseur social » pour tous qui correspond à une phase d’expansion très rapide. Le pouvoir d’achat des ménages augmente. Le SMIG est multiplié par trois de 1964 à 1974, et l’ensemble des salaires par 2,5 alors que l’indice des prix est multiplié par 1,7. »